Cet article a été publié le 6 janvier 2025 et a été daté du 27 décembre 2024 afin de le placer à l'endroit
voulu dans le blogue.
Après une saga en mars-avril où 2 couples de faucon pèlerin semblent avoir tenté de nicher au pont Jacques-Cartier (voir cet article), un couple s'est installé sur une corniche du pilier 26. Le pilier 26 du pont Jacques-Cartier est situé à Montréal, au milieu de voies de circulation automobile très achalandées. Le (nouveau) nid est relativement bien caché: dans le meilleur des cas, l'adulte présent au nid en position de couvaison n'est que très partiellement visible et il faut parfois attendre un mouvement pour être certain que ce qu'on voit n'est pas un débris. Un seul fauconneau sera observé, d'abord dans le nid puis autour lorsqu'il commencera à se promener. Le 26 juin il a été bagué au nid par Environnement Faucon. Son premier vol a eu lieu autour du 12 juillet. Il a été observé pour la dernière fois le 13 juillet dans les parties les plus hautes du pont Jacques-Cartier, prouvant non seulement que son envol s'est bien passé mais qu'il était capable de prendre de la hauteur.
Le fauconneau le 10 juillet peu de temps avant son envol
Mes observations depuis Montréal ont été faites depuis le trottoir de la rue Notre-Dame du côté du port de Montréal: le pilier où se trouve le nid était de l'autre côté de 5 voies de circulation automobile. Des observations ont aussi été faites depuis l'ile Sainte-Hélène.
Vers la fin avril: début de l'incubation
C'est le 26 avril que j'observe pour la première fois un faucon pèlerin au futur nid:
Faucon pèlerin au nid, 26 avril 2024 18h34
Le 28 avril j'observe un faucon pèlerin sur le pilier 26 mais pas au nid. De plus d'autres endroits sont visités par le couple dans la structure du pont, voir cette vidéo, ce qui m'amène à conclure que les faucons n'ont pas encore fait leur choix. C'est donc avec une certaine surprise que j'apprends le 30 avril la confirmation par Environnement Faucon d'une nidification en cours sur le pilier 26. Mes observations des jours suivants ont bien entendu confirmé leur analyse.
5 juin 2024: première observation d'un fauconneau
Le 5 juin j'ai effectué une première surveillance vidéo dans le but de mettre en évidence la naissance d'un ou plusieurs fauconneaux, typiquement par l'apport d'une proie au nid par un adulte. L'objectif a été atteint au-delà de toute espérance: non seulement un fauconneau était visible mais il semblait vouloir partir explorer les alentours, forçant l'adulte à se redresser pour le gérer!
Ma visite précédente remontait au 2 juin entre 11h40 et 16h45. Je n'ai remarqué aucun signe suggérant un nourrissage mais en l'absence de surveillance vidéo je ne peux pas affirmer qu'il n'y en a pas eu.
10 juin 2024: apparence trompeuse de 2 fauconneaux
Cette vidéo à main levée enregistrée le 10 juin entre 17h20 et 17h30 semble montrer 2 fauconneaux. Il ne s'agit vraisemblablement que d'une illusion puisque non seulement le '2ième fauconneau' ne reçoit rien à manger lors de ce nourrissage mais il est toujours dans la même position le 16 juin! L'hypothèse la plus vraisemblable est qu'il s'agit d'un débris; la possibilité qu'il s'agit d'un fauconneau décédé est très peu probable puisque normalement les adultes évacuent rapidement les cadavres du nid.
12 juin 2024: un adulte m'avertit
Le 12 juin à 12h22 je m'approchais de mon point d'observation par le nord. Je devais être sur le trottoir de la rue Notre-Dame à la hauteur de la rue Fullum, du côté du port de Montréal, lorsque j'ai été survolé par un faucon pèlerin qui a brièvement alarmé. Le faucon volait à une altitude raisonnable et sans son cri je ne l'aurais pas remarqué. Le cri d'alarme me semblait destiné puisqu'il a été poussé alors qu'il passait au-dessus de moi. Si sa manœuvre avait pour but de me dissuader de m'approcher du nid, elle a eu l'effet contraire puisque comme j'ai craint qu'il s'était passé quelque chose au nid je me suis dépêché de m'en approcher... Alors que je m'approchais, un faucon (probablement l'autre) a quitté le nid. Peut-être qu'il venait d'y avoir un nourrissage. Il arrive souvent qu'on entende un adulte alarmer sans raison évidente lors d'un nourrissage et j'interprète ce comportement comme un avertissement aux prédateurs éventuels de ne pas interférer mais c'est la première fois que j'ai eu l'impression d'avoir eu droit à une mise en garde personnalisée, et en plus à distance du nid!
De façon générale les adultes semblaient réagir à mes présences: une fois le fauconneau suffisamment grand, l'adulte présent au nid s'envolait (sans alarmer) et semblait revenir seulement lorsqu'il ne me voyait plus: plus d'une fois j'ai vu l'adulte revenir au nid alors que, me dirigeant vers la station de métro Papineau pour rentrer chez moi, je venais de traverser la rue Notre-Dame, c'est-à-dire que je me trouvais de l'autre côté du pilier du nid. Conscient de cela, j'évitais de m'attarder.
26 juin 2024: baguage du fauconneau
Le 26 juin Environnement Faucon a procédé au baguage du fauconneau. L'annonce a été faite 2 jours plus tard sur leur page Facebook. Le fauconneau a été déterminé comme étant un mâle.
Engin photographié sous le nid le 27 juin probablement utilisé pour le baguage
28 juin au 11 juillet 2024: le fauconneau explore sa corniche
À partir du 28 juin le fauconneau est observé en dehors du nid mais toujours sur la corniche où se trouve le nid. Cette corniche fait le tour du pilier 26. Jusqu'au 11 juillet, date où il est observé pour la dernière fois sur le pilier, il visitera ainsi les 4 façades du pilier.
Fauconneau à gauche de son nid, 28 juin 8h54
Fauconneau explorant la corniche, 1er juillet 6h30
Le 2 juillet à 9h50 je filme depuis l'ile Sainte-Hélène un adulte qui visite le fauconneau. Un zoom plus puissant ne serait pas superflu mais il est tout de même possible de reconstituer avec une assez grande confiance ce qui s'est passé: l'adulte a apporté une proie à gauche du nid; le fauconneau s'est précipité pour s'en emparer et est retourné au nid; l'adulte l'a suivi, ce qui a entrainé une légère dispute. L'adulte a par la suite attendu que le fauconneau ait fini de manger puis a récupéré les restants et est reparti avec. Deux avantages de la surveillance depuis l'ile Sainte-Hélène sont qu'il n'y a aucun risque d'interférer avec le comportement des faucons (je ne suis pas sur que l'adulte aurait attendu à côté du nid que le fauconneau ait fini de manger si j'avais observé la scène depuis la rue Notre-Dame) et l'ile Sainte-Hélène est bien plus agréable que le long de la rue Notre-Dame.
Vidéo du 7 juillet
Le 10 juillet je le repère sur la façade opposée à celle du nid, au coin avec le petit côté de l'avenue De Lorimier.
Entre le 11 et le 13 juillet 2024: envol du fauconneau
La dernière observation du fauconneau sur le pilier 26 a été faite le jeudi soir 11 juillet vers 18h30 par Sylvain Cusson (merci à lui pour ses observations). Un feu d'artifice a été tiré ce soir-là depuis La Ronde, que de nombreux Montréalais regardaient depuis la rue Notre-Dame, un petit peu au nord du nid. À moins que quelqu'un ait remarqué le fauconneau et que la famille n'ait pas apprécié l'attention qui aurait pu en résulter, surtout à la tombée de la nuit, je n'ai pas de raison de penser que le feu d'artifice ou les spectateurs aient provoqué son envol.
J'étais passé le 11 juillet un peu avant Sylvain. À 17h25 le fauconneau a soudain surgi à un coin du pilier, ailes ouvertes. Immédiatement des cris d'alarme d'un adulte se sont fait entendre. Je me suis éloigné puis je suis revenu 10 minutes plus tard sans provoquer d'autres alarmes. Si je n'ai aucun doute d'avoir été la cause de l'alarme, celle-ci était probablement davantage une injonction au fauconneau de ne pas tenter quelque chose qu'un avertissement envers moi. Des spectateurs commençaient déjà à arriver pour le feu d'artifice prévu 4 heures plus tard. Compte tenu de l'inconfort que je percevais de la part des adultes face à la présence d'observateur j'ai préféré ne pas prendre le risque d'attirer l'attention sur eux et j'ai donc quitté à 17h41. Lorsque Sylvain est passé environ 45 minutes plus tard, le fauconneau battait des ailes.
Le 12 juillet 2 visites de ma part (à midi et de 17h24 à 18h45) et 2 de Sylvain (à 15h45 et à 20h20) n'ont pas permis de localiser le fauconneau.
Le 13 juillet à 7h26 je repère ce qui semble être un faucon pèlerin sur une poutre du pont, bien au-dessus du tablier et donc au-dessus de la corniche du nid. Ce perchoir est plutôt inhabituel, ce qui m'a incité à filmer. L'oiseau a effectué plusieurs battements d'aile, ainsi que quelques petits vols, qui laissent peu de doute sur le fait qu'il s'agit d'un jeune faucon pèlerin venant récemment d'effectuer son premier vol et encore peu confiant en ses capacités.
Le fauconneau était malheureusement trop loin pour l'identifier par ses bagues; en théorie il pouvait donc s'agir d'un fauconneau provenant d'un autre nid, recueilli par l'UQROP puis relâché près du pont Jacques-Cartier en vue de son adoption par les adultes. Dans son partage sur Facebook de ma vidéo, la société Les ponts Jacques-Cartier et Champlain incorporée (PJCCI), qui aurait nécessairement été informée d'une telle relâche, exclut cette possibilité en écrivant ''Le jeune fauconneau né cette année sur le #pontJacquesCartier a réussi son premier envol!''.
Je n'ai pas réussi à revoir le fauconneau les jours suivants, ce qui n'est pas forcément inquiétant: le 13 juillet le fauconneau a essentiellement été identifié par ses battements d'aile mais ce comportement disparait très vite à mesure que les fauconneaux prennent confiance en leur capacité. Et le bruit de la circulation automobile rend quasiment impossible d'entendre les cris de juvénile. Cependant le comportement des adultes les jours suivants peut soulever des questions sur le sort du fauconneau.
18 et 20 juillet: un adulte passe beaucoup de temps au nid
Le 18 juillet en fin d'après-midi, et encore davantage le matin du 20 juillet, un faucon pèlerin - présumément la femelle - passait beaucoup de temps aux nids du pilier 26. Nids au pluriel puisque le 20 juillet il est apparu qu'il y avait un second nid à un autre coin de la corniche du pilier 26. Le 20 juillet l'autre adulte n'était pas loin, et il y a même eu une brève rencontre de couple au nid à 7h03 que je n'ai malheureusement pas réussi à documenter. Les visites aux nids ne duraient généralement que quelques minutes mais étaient fréquentes. Une description de ces visites est disponible dans la description de la vidéo ci-dessous.
Il est tentant de voir dans ces visites aux nids une sorte de mélancolie ou un signe que le faucon pense déjà à la prochaine nidification, ce qui peut poser des questions sur le sort du fauconneau. Il faut cependant se méfier des interprétations trop humaines.
23 juillet: beaucoup de mouvements d'un faucon pèlerin près d'une tour Eiffel
Le 23 juillet entre 6h29 et 7h12 j'ai filmé de nombreux mouvements d'un faucon pèlerin à une des ''tours Eiffel'' du pont Jacques-Cartier au-dessus du pilier 25 ainsi que sur une poutre voisine. Je n'ai pas été en mesure de déterminer hors de tout doute si c'était un adulte ou le fauconneau.
(une version longue de cette vidéo est disponible ici).
Plusieurs envols étaient des attaques ratées sur des proies potentielles. De 6h46 à 7h07 un 2ième faucon était visible sur la corniche du pilier 24 (disparition constatée à 7h12). À 7h35 2 faucons pèlerins étaient en vol dans le secteur du pilier 25. Les 2 sont partis vers l'est en suivant les voies ferrées.
Conclusion
Après le double échec du couple de faucon pèlerin du pont Honoré-Mercier (d'abord en tant que parents naturels puis en tant que parents adoptifs, voir par exemple cet article de The Gazette du 2 juillet) et l'apparent drame survenu au pont Jacques-Cartier avec le décès d'un couple de faucon pèlerin (voir cet article de mon blogue), ce couple de faucon pèlerin a sauvé la mise pour les ponts sous la responsabilité de la société PJCCI en menant à l'envol un fauconneau (le nouveau pont Champlain, qui a connu une nidification réussie en 2024, n'est plus sous la responsabilité de PJCCI). Le sort du fauconneau du pont Jacques-Cartier n'est pas connu mais en réussissant son envol puis en parvenant à prendre de la hauteur, il a franchi une étape importante dans sa survie. Comme ce fauconneau est muni de 2 bagues dont une qui est facilement lisible à distance, peut-être aurons-nous un jour la surprise d'avoir de ses nouvelles.
Le fait qu'il n'y a eu qu'un seul fauconneau est inhabituel et cela pourrait suggérer que la femelle est jeune et/ou inexpérimentée. Si c'est le cas on peut logiquement s'attendre à davantage de fauconneaux en 2025.
Au début de l'été j'ai eu vent que 2 faucons pèlerins - un mâle et une femelle - seraient décédés de l'influenza dans le secteur du pont Jacques-Cartier du côté de la Rive Sud. Bien que cette information soit arrivée dans ma boite courriel, elle ne m'était visiblement pas destinée et comme j'ai échoué à obtenir une confirmation officielle je parlerai de cette information au conditionnel et je tairai la source. Le 30 avril cependant j'avais été informé par Environnement Faucon du décès de P04, une jeune femelle qui avait été observée en train de s'accoupler dans le secteur du pont Jacques-Cartier les semaines précédentes. L'information ne mentionnait ni la date, ni l'endroit, ni la cause de la mort mais confirme qu'au moins un faucon pèlerin récemment sexuellement actif dans le secteur du pont Jacques-Cartier est décédé ce printemps.
Je n'ai malheureusement réussi ni à obtenir des précisions sur le décès de P04, ni la confirmation officielle qu'un couple de faucon pèlerin était décédé de la grippe aviaire dans le secteur du pont Jacques-Cartier: la société Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI) m'a redirigé vers Environnement Faucon - l'entreprise qu'ils mandatent pour gérer la cohabitation entre faucons pèlerins et humains sur leurs ouvrages, Environnement Faucon (ou plus précisément mes 2 contacts habituels au sein de cette entreprise) ne m'a pas répondu, pas plus que l'Union québécoise de réhabilitation des oiseaux de proie (UQROP). Par contre j'ai découvert dans une base de données publique du gouvernement du Canada sur la grippe aviaire que 7 faucons pèlerins décédés ont été testés positifs à la grippe aviaire au Québec depuis 2022 dont 2 à 1 jour d'intervalle dans la région de Montréal ce printemps.
Cet article est organisé de la façon suivante. Dans la première section je partage ce que j'ai pu apprendre sur la grippe aviaire et son impact sur les faucons pèlerins en Amériques du Nord et plus particulièrement au Québec. Les dates des décès tirées de la base de données donnent un indice sur le moment où 2 faucons pèlerins auraient pu décéder de la grippe aviaire dans le secteur du pont Jacques-Cartier et jettent un éclairage sur mes observations qui sont présentées dans la 2ième section. Cette 2ième section essentiellement couvre la période du 16 mars (moment où j'ai formellement identifié P04 sous le pont Jacques-Cartier du côté de Montréal) au 30 avril (moment où une nidification par une autre femelle a été confirmée par Environnement Faucon et où j'ai appris le décès de P04). La période avant le 16 mars est couverte par l'article de blogue ''P04 revue au pont Jacques-Cartier, apparemment en couple!'' alors que la nidification de la nouvelle femelle fera l'objet d'un prochain article.
Remerciements: merci à Sylvain Cusson pour ses observations et ses photos, à Sarah Gagnon et Marilou Skelling d'Environnement Faucon pour les informations de la présence de P04 du côté de Longueuil puis de son décès (les échanges ont eu lieu par courriel avec Sarah Gagnon avec copie à Marilou Skelling), à Eve Belisle de Faucons de l'UdeM pour ses avis (je tiens à préciser que ce n'est pas par elle que j'ai appris que 2 faucons seraient décédés de la grippe aviaire près du pont Jacques-Cartier) et à tous ceux qui ont partagé publiquement des informations, notamment sur le tableau de bord de la grippe aviaire et sur eBird.
1. Des faucons pèlerins victimes de la grippe aviaire
1.1. Généralités sur la grippe aviaire
Le gouvernement du Canada a plusieurs pages consacrées à la grippe aviaire sur ses différents sites internet. Les informations ci-dessous sont tirées de la page d'Environnement et Changement Climatique
''Influenza aviaire chez les oiseaux sauvages". D'après cette page, ''l’influenza aviaire hautement pathogène H5N1 est à l’origine d’une épidémie mondiale d’une ampleur et d’une durée sans précédent''. ''Hautement pathogène'' signifie que le taux de mortalité est élevé chez les oiseaux infectés. La souche H5N1 a été signalée au Canada pour la première fois en décembre 2021 et est maintenant présente dans l'ensemble du pays (une 2ième souche elle aussi hautement pathogène, H5N2, a été détectée le 8 novembre 2024 en Colombie-Britannique).
Le virus de la grippe aviaire H5N1 touche principalement les oiseaux mais infecte aussi occasionnellement des mammifères, y compris des humains. Au Canada le premier cas humain positif au H5N1 a récemment fait grand bruit, voir par exemple cet article de Noovo publié le 18 novembre. La page d'Environnement et Changement Climatique inclut des conseils pour limiter son exposition au virus mais se montre plutôt rassurante en ce qui concerne les oiseaux de mangeoire: ''Il est peu probable que l’utilisation de mangeoires pour oiseaux cause la propagation du virus de l’influenza aviaire hautement pathogène, et le risque d’épidémie chez les espèces d’oiseaux sauvages qui fréquentent les mangeoires est considéré comme faible''.
Au cours des dernières années le faucon pèlerin a été retiré de la liste des espèces menacées un peu partout en Amérique du Nord après avoir frôlé la disparition dans la 2ième moitié du 20ième siècle en raison de l'utilisation du DDT, un insecticide qui occasionnait un amincissement de la coquille des œufs, empêchant ces oiseaux de se reproduire. Au Canada le faucon pèlerin des sous-espèces anatum et tundrius (les sous-espèces les plus communes) est ainsi considéré ''non en péril'' depuis 2017. Au Québec ces 2 sous-espèces ont toujours le statut d'"espèce vulnérable" mais on pouvait s'attendre à ce que ce statut soit retiré lors de la prochaine réévaluation. Du moins jusqu'à l'arrivée de l'actuel épisode de grippe aviaire...
Ces derniers mois des biologistes américains ont tiré la sonnette d'alarme après avoir observé des signaux suggérant une hausse importante de la mortalité chez les faucons pèlerins. La vague actuelle de grippe aviaire hautement pathogène est citée comme le principal suspect.
Le premier à partager publiquement ses inquiétudes est Bryan Watts, directeur du Center for Conservation Biology de Virginie (États-Unis) dans sa publication du 18 juillet 2024 Adult turnover spikes in Virginia peregrines raising alarms about the potential impact of avian flu (à noter que la publication est incorrectement datée de 2023). Il rapporte avoir constaté chez les couples nicheurs de Virginie un taux de remplacement anormalement élevé des individus entre 2023 et 2024. Autrement dit, dans de nombreux couples un des individus (ou les 2) disparaissait et était remplacé par un nouvel individu. De plus, les nouvelles femelles étaient presque toujours de jeunes femelles (qui, pour ne rien arranger, ont pour la plupart échoué leur nidification) contrairement à ce qui avait été observé les années précédentes où les remplaçantes étaient des femelles expérimentées, ce qui suggère qu'il reste peu de femelles expérimentées en attente de trouver un territoire libre. Un examen plus poussé montre que les chiffres diffèrent suivant les secteurs de Virginie, les couples nichant près des côtes étant plus touchés que ceux nichant dans les terres. Or les couples nichant près des côtes se nourrissent davantage d'oiseaux aquatiques migrateurs, qui sont particulièrement touchés par la grippe aviaire.
Des observations similaires ont été faites ailleurs en Amérique du Nord. Dans un article publié le 17 septembre 2024 dans le magazine de la National Audubon Society Why Are Peregrine Falcon Numbers Falling in the United States Again? Tim Gallagher rapporte les propos de Kathy Clark, qui monitore les faucons pèlerins dans l'état du New Jersey. La plupart des faucons pèlerins nichant au New Jersey sont bagués, ce qui a permis de constater la même augmentation anormale du taux de remplacement. La phrase suivante est entre guillemets dans l'article et est attribuée à Kathy Clark: ''Of 44 nesting Peregrines, half of them were missing this year'', ce qui donne un taux de remplacement de 50%; et ce taux passe à 63% si on ne considère que les couples nichant près des côtes. De plus 2 territoires sont restés inoccupés et la nidification dans un 3ième a échoué, le nouveau couple étant formé d'individus âgés de 1 an et 2 ans. L'article mentionne également qu'un faucon pèlerin trouvé mort a été testé positif à la grippe aviaire au New Jersey (un 2ième était trop décomposé pour effectuer le test) et 2 ont été testés positifs en Virginie. L'article rapporte également d'autres observations plus empiriques ailleurs dans le pays - possiblement car le programme de baguage est moins développé dans ces régions: sites de nidification abandonnés, sites où il n'y a plus qu'un seul individu, décès de fauconneaux avant leur envol, etc... Toutes les personnes citées mentionnent la grippe aviaire comme possible cause. Comme le faucon pèlerin cible en priorité les oiseaux qui présentent une faiblesse, compte tenu de la virulence du virus, il suffit qu'il en mange un atteint de la maladie pour avoir de grandes chances de succomber lui-même.
1.3. Un tableau de bord sur la grippe aviaire au Canada
Le Réseau Canadien pour la Santé de la Faune maintient un tableau de bord très convivial et régulièrement mis à jour sur les cas positifs à la grippe aviaire chez les oiseaux et mammifères sauvages trouvés malades ou morts au Canada. Une description de ce tableau de bord se trouve dans ma publication Facebook du 13 août. Les plus anciens cas inclus dans le tableau de bord datent de décembre 2021.
Les chiffres suivants ont été obtenus lors d'une consultation du tableau de bord le 23 novembre 2024 (ces chiffres ne sont plus à jour au moment de publier l'article: en particulier le nombre total de cas est passé à 3290 et 2 cas se sont ajoutés au Québec).
Au Canada, le nombre total de cas positifs suspects ou confirmés toute espèce confondue est de 3187 et le plus récent cas ajouté dans la base de donnée date du 31 octobre 2024 (une sarcelle à ailes vertes au Nouveau-Brunswick, test préliminaire positif mais souche non déterminée).
Au Québec le nombre total de cas est de 470 et le cas le plus récent a été ajouté le 30 mai 2024: un urubu à tête rouge trouvé positif au H5N1 (de façon intéressante, le séquençage du virus a montré qu'il contient des segments propres à la lignée nord-américaine et d'autres propres à la lignée eurasienne, ce qui illustre la capacité d'évolution du virus).
Au Canada, le nombre de faucons pèlerins trouvés positifs (par un test préliminaire ou par séquençage de l'ADN) est de 32. Ce chiffre se répartit comme suit: Colombie-Britannique (10), Québec (7), Alberta et Saskatchewan (5 chacun), Manitoba (3) et Ontario (2).
Dans cette publication Facebook du 19 août, je mentionne d'autres chiffres tirés de cette base de données pour le Québec. Dans le groupe ''rapaces'', l'urubu à tête rouge arrive en première position du nombre de cas positifs confirmés, ce qui n'est pas surprenant compte tenu qu'il se nourrit d'oiseaux et de mammifères décédés. Le pygargue à tête blanche arrive en 2ième position. À l'autre extrémité du spectre le faucon émerillon et l'épervier de Cooper semblent peu touchés par la grippe aviaire (respectivement 0 et 1 cas au Québec, mais ces chiffres passent à 1 et 16 pour l'ensemble du Canada). Du côté des proies du faucon pèlerin, le pigeon et l'étourneau semblent peu touchés également (respectivement 3 cas et 0 cas sur l'ensemble du Canada, aucun au Québec) alors que les goélands (36 cas confirmés au Québec), les corneilles d'Amérique (36 cas) et les canards (12 cas) semblent plus touchés (note 1: il serait intéressant de rapporter ces chiffres à ceux de la population totale de l'espèce; note 2: les chiffres rapportés dans la publication Facebook et repris ici sont ceux des cas confirmés et excluent donc les cas suspects; note 3: pour les catégories ''goéland'' et ''canard'' seules les espèces dont le nom commence par ces mots ont été considérées).
1.4. Un peu plus de détails sur les 7 faucons pèlerins décédés de la grippe aviaire au Québec
Comme indiqué plus haut, le tableau de bord mentionne que 7 faucons pèlerins ont été testés positifs au Québec. Tous les cas sont des cas confirmés au H5N1 et tous les oiseaux sont morts. La ''date d'échantillonnage'' (définie comme la première date connue parmi les dates de décès, de collecte et de test) varie entre le 27 septembre 2022 et le 1er avril 2024. 4 ont été testés positifs à l'automne 2022, 0 en 2023 et 3 lors des 4 premiers mois de 2024.
Pour avoir plus d'information il faut télécharger le fichier Excel (dernière option du menu du tableau de bord). Le fichier Excel ne contient pas la totalité des cas du tableau de bord (il semble contenir en fait uniquement les cas confirmés) mais contient les 7 cas du faucon pèlerin au Québec, avec toutefois toutes les dates incrémentées de 1 jour. Le fichier Excel contient une information supplémentaire très intéressante: la subdivision de recensement unifiée (SRU) dans laquelle le faucon a été trouvé. On y apprend notamment que les faucons pèlerins testés les 30 mars et 1er avril (dates du tableau de bord) proviennent de la SRU de Montréal. Un autre faucon pèlerin avait auparavant été testé positif dans la SRU de Montréal le 23 octobre 2022. Deux autres cas proviennent de SRUs situées à une vingtaine de kilomètres de Montréal et les 2 derniers cas proviennent de SRUs situées à plus de 200 kilomètres de Montréal.
La proximité des dates des 2 cas de ce printemps dans la SRU de Montréal combiné au fait qu'il n'y a apparemment pas eu une explosion de cas de la grippe aviaire à Montréal ce printemps suggère que ces 2 cas sont reliés, autrement dit que les 2 faucons pèlerins décédés formaient probablement un couple (une autre possibilité serait que le virus ait été transmis durant des contacts lors d'une bataille mais le fait que les individus touchés seraient de sexe opposé semble éliminer cette possibilité). L'infection a pu se produire en se nourrissant d'une même proie infectée, ou bien un seul individu a mangé un oiseau malade puis a transmis le virus à son/sa partenaire par contact (on peut d'ailleurs noter que ces faucons sont morts durant la période des accouplements).
2. Tentatives de reconstituer les évènements
Dans cette section il sera fait référence aux numéros de pilier du pont Jacques-Cartier: le pilier au milieu du fleuve entre Montréal et l'ile Sainte-Hélène est le pilier 24, celui dans le port de Montréal le 25 et celui au milieu des voies de circulation de la rue Notre-Dame le 26.
P04 - une femelle faucon pèlerin - a été recueillie au sol en 2022 dans la région de Varennes alors qu'elle apprenait à voler puis a été transférée à l'UQROP. Elle a été relâchée près du nid du pont Jacques-Cartier le 30 juin 2022 en même temps qu'une juvénile originaire de ce nid - P03 - et a été adoptée par le couple de faucon pèlerin.
Au printemps 2023 lorsque le couple a débuté la nidification suivante, P04 était toujours auprès d'eux. Elle est considérée comme responsable du décès de la nichée: entre autres comportements, elle s'est envolée avec un fauconneau nouveau-né et interceptait la nourriture destinée aux autres fauconneaux.
2.2. 4 au 16 mars 2024: accouplement impliquant une femelle baguée et identification de P04
Le 4 mars 2024 Sylvain Cusson observe et photographie un accouplement de faucon pèlerin à un nouvel endroit: l'église Sainte-Brigide située en face de la nouvelle maison de Radio-Canada et proche de l'extrémité montréalaise du pont Jacques-Cartier. Ses photos montrent que la femelle porte une bague en aluminium à sa patte gauche. P04 est immédiatement soupçonnée. Le 9 mars je parviens à prouver que la femelle porte également une bague à sa patte droite. Finalement le 16 mars je parviens à identifier P04 sur un lampadaire du port de Montréal près du pilier 25 du pont Jacques-Cartier. Entre temps d'autres accouplements ont été observés, en particulier au sommet de l'ancienne tour de Radio-Canada.
Lecture de la bague de P04, 16 mars 2024
L'identification de P04 proche des endroits où les accouplements ont été observés m'amène à publier le 27 mars l'article "P04 revue au pont Jacques-Cartier, apparemment en couple!". J'avais suspendu mes observations dans le secteur du pont Jacques-Cartier le temps d'écrire cet article mais par chance mon observation du 16 mars n'était pas la dernière observation de P04.
2.3. P04 revue du côté de Longueuil le 26 mars
Le 27 mars je communique à Environnement Faucon mon identification de P04 en les invitant à lire mon article. En retour ils m'envoient une photo prise la veille du côté de Longueuil et montrant un accouplement de P04 au nichoir, avec sa bague clairement lisible. Environnement Faucon projetait de partager la photo quelques jours plus tard sur leurs médias sociaux mais cette publication n'a jamais eu lieu. J'ai longtemps pensé que ce changement de plan était lié à l'engouement pour l'éclipse solaire totale du 8 avril puis au choix des faucons de ne pas utiliser le nichoir pour leur nidification mais le décès de P04 pourrait être une autre explication.
J'ignore quand la photo de l'accouplement de P04 a été prise le 26 mars mais Sylvain m'a transmis des photos d'un faucon pèlerin à l'église Sainte-Brigide (donc du côté de Montréal) le même jour. Ses photos couvrent la période de 13h34 à 13h37.
Après la publication de mon article, j'ai repris mes observations dans le secteur du pont Jacques-Cartier et une visite du côté de Longueuil était à mon programme si je n'arrivais pas à revoir le couple du côté de Montréal. L'information d'Environnement Faucon n'a fait qu'hâter cette visite. J'y suis allé le matin du 28 mars. Ma première photo sur place date de 9h37. 1 heure plus tard un véhicule d'Environnement Faucon est arrivé. Je suis allé discuter avec le biologiste et je lui ai annoncé n'avoir rien vu depuis mon arrivée. Il m'a répondu que oui, il(s) étai(en)t là! Il est apparu qu'il(s) avai(en)t été observé(s), sans doute via la caméra, un peu avant 9h30: je les avais donc raté de peu. Si comme je le pense il parlait du couple, Environnement Faucon a probablement pu déterminer si la femelle était baguée ou non.
Comme le secteur du côté de Longueuil était à ce moment-là doublement surveillé par Environnement Faucon (via la caméra et par le biologiste sur place) j'ai décidé de traverser le pont pour voir si les faucons n'étaient pas du côté de Montréal. Et j'y ai effectivement observé un couple mais la femelle n'était peut-être pas P04...
2.4 Accouplement à l'église Sainte-Brigide le 28 mars
Après avoir discuté avec un biologiste d'Environnement Faucon du côté de Longueuil et comme les faucons ne semblaient plus là, j'ai traversé le pont pour tenter ma chance du côté de Montréal. À 11h45 je repère un faucon pèlerin sur la façade de l'église Sainte-Brigide donnant sur la Maison de Radio-Canada. À 12h30 son comportement et les vocalises suggèrent la présence d'un 2ième individu. Je le perds de vue quand il entre dans une 'loge' de l'église. À 12h43 un faucon est de nouveau visible sur la même façade de l'église Sainte-Brigide que tantôt. Il me donne plusieurs occasions de constater qu'il n'est pas bagué à la patte droite:
Faucon pèlerin non bagué à l'église Sainte-Brigide, 28 mars 12h46
Ma dernière photo du faucon est datée de 12h46mn40. Sur la photo de 12h47mn20 il n'est plus visible. À 12h47mn26 j'enregistre une note vocale signalant un bref accouplement sur la façade voisine: j'ai entendu les cris caractéristiques et j'ai vu les ailes du mâle battre mais je ne pouvais pas voir la femelle. Après l'accouplement les 2 faucons se sont envolés vers l'ancienne tour de Radio-Canada, je n'ai donc pas eu la chance de me déplacer pour tenter de photographier la femelle sur l'église.
Photos de 12h46mn40 et 12h47mn20
Cet accouplement intervenu très rapidement après le déplacement du faucon que j'observais vers la façade voisine m'a laissé perplexe: il m'a semblé que le faucon s'était déplacé en trottinant sur la façade voisine et non en s'envolant mais je ne me souviens plus si je l'ai vu trottiner ou si c'est mon cerveau qui a reconstitué ainsi les évènements. Si le faucon s'était déplacé en trottinant, il y aurait plus de chance qu'il s'agissait de la femelle, et dans ce cas ce ne serait pas P04. La brièveté de l'accouplement est aussi suspecte, étant donné que tout indique que P04 s'accouplait depuis au moins le 4 mars, jour où Sylvain a documenté un accouplement impliquant une femelle baguée, et que les accouplements tendent à augmenter en durée avec le temps.
Le lendemain 29 mars lors d'un bref passage entre 17h et 17h50 je n'ai vu qu'un faucon pèlerin perché sur l'ancienne tour de Radio-Canada s'envoler en direction du pont Jacques-Cartier. De son côté Sylvain avait photographié un faucon pèlerin sur l'ancienne tour de Radio-Canada à 14h50.
2.5. Observations dans la fenêtre des décès supposés
Rappelons que d'après le tableau de bord, les dates d'échantillonnage de 2 faucons pèlerins décédés de la grippe aviaire dans la SRU de Montréal sont les 31 mars et 1er avril (les 1er et 2 avril selon le fichier Excel). Le test a pu être effectué le lendemain de la découverte du cadavre, ce serait le cas par exemple si le cadavre avait été trouvé en fin de journée.
Le 30 mars, Sylvain photographie un faucon pèlerin à l'église Sainte-Brigide entre 14h43 et 14h59.
Faucon pèlerin à l'église Sainte-Brigide, 30 mars 14h58 (crédit: Sylvain Cusson)
Le 31 mars à 12h41 je repère un faucon pèlerin à l'église Sainte-Brigide qui s'envole à 12h46. À 12h55 j'ai revu un faucon en vol qui a disparu derrière l'ancienne tour de Radio-Canada.
Plus intéressant, Maxime Larcher signale sur eBird avoir observé 2 faucons pèlerins à l'église Sainte-Brigide (orthographié Ste-Bridge mais la localisation sur la carte est celle de l'église Sainte-Brigide) à 15h. Je n'ai malheureusement pas réussi à le contacter pour avoir plus de précisions sur son observation: s'il lit cet article ou si quelqu'un sait comment le joindre, merci de me contacter.
Je n'ai effectué aucune visite les 1er et 2 avril et Sylvain ne m'a rapporté aucune observation pour ces jours-là. Le
3 avril cependant il photographie un faucon pèlerin à 3 endroits assez
différents du secteur: sur le garde-fou du toit de la nouvelle Maison
de Radio-Canada (à 13h), sur un des édifices de Molson (à 13h22) et sur
le pont Jacques-Cartier (à 13h26).
2.6. 7 avril 2024: courte visite de 2 faucons pèlerins à l'église Sainte-Brigide suivie d'une exploration d'une section du pont Jacques-Cartier
À 14h33 le 7 avril 2024 2 faucons pèlerins arrivent sur l'église Sainte-Brigide sur la façade Alexandre De Sève mais à des extrémités différentes de cette façade. Ils quittent moins de 3 minutes plus tard en direction du pont Jacques-Cartier. Je suis allé examiner le pont Jacques-Cartier sans rien y observer et je suis revenu près de l'église Sainte-Brigide à 16h05. À 17h06 un faucon pèlerin s'envole de l'église Sainte-Brigide, s'y reperche, s'envole à nouveau et semble rejoindre un autre individu du côté de Molson. Je me déplace dans cette direction. À 17h32 j'entends une discussion de faucon pèlerin et je vois un faucon quitter la structure du pont Jacques-Cartier. À 17h44 un faucon revient dans la structure du pont et la discussion recommence. Je n'ai pas réussi à localiser précisément l'endroit que le couple semblait considérer mais c'était dans une zone de travaux du côté aval du pont légèrement à l'est du pilier 25.
Faucon pèlerin sur un garde-fou du pilier 25, 7 avril 2024 17h45
Comme on était dimanche, ce secteur était probablement déserté par les travailleurs depuis le vendredi après-midi. Déjà en 2021 le couple d'alors semblait vouloir s'installer sous une passerelle en bois utilisé par les travailleurs sur le pilier 24 mais qui était déserté pour le week-end, voir cet article.
Le lendemain j'ai revu un faucon pèlerin dans ce secteur entre midi et midi 30 mais j'ai également constaté que les travailleurs étaient présents: il était dès lors clair pour moi que les faucons pèlerins ne pourraient pas nicher à l'endroit qu'ils avaient considéré durant le week-end. Restait à trouver leur nouvel endroit...
2.7. 26 au 28 avril 2024: réobservation d'un couple de faucon pèlerin sous le pont Jacques-Cartier du côté de Montréal
Le 26 avril à 8h13 je me trouvais sur l'ile Sainte-Hélène pour tenter d'observer à nouveau une bernache surprise quelques jours plus tôt perchée sur une étroite corniche du pilier 25 lorsque j'ai aperçu un oiseau de proie - très probablement un faucon pèlerin - se démener en vol au-dessus du fleuve avec une proie qu'il venait manifestement d'attraper. Après avoir maitrisé sa proie, le rapace a disparu derrière le pilier 26. De 10h45 à midi j'ai sommairement examiné ce secteur du pont Jacques-Cartier et de l'église Sainte-Brigide sans rien remarquer.
J'y suis retourné en fin d'après-midi après avoir visité d'autres sites. À 18h21 je remarque un faucon pèlerin perché sur la fixation d'une canalisation verticale sur le pilier 25 et je crois entendre des vocalises. Après l'avoir photographié pendant quelques minutes et cherché en vain un autre faucon sur ce pilier, je me tourne vers le pilier 26 pour vérifier si l'autre faucon ne s'y trouverait pas. Je vois alors y arriver successivement 2 faucons pèlerins! Il était 18h25.
Face-à-face entre le mâle (à gauche) et la femelle (à droite), 18h30
Après une discussion de couple sur la corniche du futur nid le mâle s'envole à 18h30 et se perche à nouveau sur la canalisation du pilier 25. À 18h31 la femelle déloge le mâle de son perchoir, occupe sa place pendant quelques secondes puis retourne au pilier 26 (vidéo). La caméra n'a capté aucune vocalisation à cette occasion. Je photographie ensuite la femelle en position de couvaison à ce qui sera déterminée quelques jours plus tard comme étant son nid.
Femelle difficilement visible au futur nid, 26 avril 18h34
De son côté le mâle a exploré différents endroits dans la structure du pont. J'ai quitté à 19h20.
J'y suis retourné à la même heure le lendemain 27 avril. Je n'ai vu qu'un seul faucon pèlerin du côté du pilier 25, perché sur une mini tour Eiffel tout en haut du pont puis sur le garde-fou du pilier. Les 2 photos du futur nid que j'ai prises ne permettent pas d'y voir de faucon mais lors du suivi de la nidification les semaines suivantes il était courant qu'un faucon soit présent au nid mais que cette présence ne devenait visible que lors d'un changement de position.
Le 28 avril à 17h49 un faucon pèlerin venant apparemment du pilier 26 se perche sur un garde-fou du pilier 25. Le faucon retourne sur le pilier 26 à 18h et se tient proche de son futur nid jusqu'à au moins 18h05.
J'ignore s'il est allé au nid après sa disparition mais à 18h33 un faucon s'envole du pilier 26 et rejoint l'autre dans la structure du pont et on entend de fortes vocalises. La vidéo suivante montre 2 départs successifs de la structure du pont à 18h34mn17 et à 18h36mn45; un des faucons est ensuite retrouvé sur une poutre du pont avec une proie, tandis que l'autre se perchait au sommet du pont. J'ai volontairement laissé mes commentaires audibles puisqu'ils appuient le fait que l'autre faucon n'était pas au nid durant la totalité de cette période et que donc l'incubation n'avait probablement pas encore commencé.
2.8. 30 avril: confirmation par Environnement Faucon d'une nidification au pilier 26
Le lundi matin 29 avril je partage par courriel mes observations du week-end avec Sarah Gagnon et Marilou Skelling d'Environnement Faucon, en mentionnant que je n'avais pas réussi à voir les pattes de la femelle et que je ne pouvais donc pas confirmer que la femelle était P04. Le lendemain matin je recevais un courriel de Sarah Gagnon m'informant que grâce à mes informations elle avait pu confirmer la veille une nidification à un des endroits que j'avais mentionné. Elle me confirmait par la même occasion que la femelle n'était pas P04, ayant été informée de son décès par le docteur Fitzgerald de l'UQROP.
2.9. Observations entre le 7 avril et le 26 avril 2024
Le dimanche 7 avril le couple de faucon pèlerin semblait considérer pour leur nidification un endroit temporairement abandonné par les travailleurs le temps du week-end. Le retour des travailleurs le lendemain a mis fin à leur projet. Le 26 avril j'observais à nouveau le couple au pont Jacques-Cartier et quelques jours plus tard une nidification était confirmée par Environnement Faucon pas très loin de l'endroit que les faucons considéraient. Que s'est-il passé entre les 2 dates ? Le couple a-t-il exploré un autre endroit avant de s'installer sur le pilier 26 ? Se pourrait-il même qu'il y ait eu un autre changement dans la composition du couple ?
Le lundi 8 avril je me suis assuré que les travailleurs étaient de retour. Un faucon pèlerin surveillait les travailleurs mais c'était évident pour moi qu'ils ne pourraient pas nicher à l'endroit qu'ils semblaient avoir choisi durant le week-end.
Le 11 avril Environnement Faucon observait un couple entre les piliers 24 et 25.
Du 14 au 22 avril j'ai effectué une visite chaque jour sauf le 21 avril. Chaque visite incluait un ou plusieurs passages dans le secteur du pont Jacques-Cartier où les faucons finalement nicheront. La plupart des visites incluaient également l'église Sainte-Brigide. Je n'ai vu qu'un seul faucon pèlerin, et seulement le lundi 15 avril. Je l'ai repéré à 15h15 au pied d'une mini-tour Eiffel en haut du pilier 25. Son départ à 15h34 a semblé coïncider avec l'apparition de 3 travailleurs près de l'endroit que les faucons semblaient considérer le week-end précédent. Le 20 avril j'ai également jeté un coup d’œil du côté de Longueuil. Tôt le 22 avril j'ai eu l'énorme surprise de découvrir une bernache du Canada perchée sur une étroite corniche du pilier 25, une présence difficilement compatible avec une présence des faucons pèlerins à cet endroit.
Bernache sur une corniche du pilier 25, 22 avril 7h31
C'est en tentant de documenter depuis l'ile Sainte-Hélène une visite de la bernache au nichoir pour faucon pèlerin situé au dos du pilier 25 que j'ai revu un faucon pèlerin au-dessus du fleuve le 26 avril qui a disparu au niveau du pilier 26. Cette observation conduira à la découverte en fin d'après-midi du couple de faucon pèlerin décrite plus haut. Pour plus de détails sur la bernache funambule, voir cet article.
3. Conclusion
Il reste beaucoup de zones d'ombre sur ce qui s'est passé au pont Jacques-Cartier entre la fin mars et la fin avril: quand, où et de quoi P04 est-elle décédée ? Est-il vrai que 2 faucons pèlerins sont décédés de la grippe aviaire ? Le silence des principaux acteurs (PJCCI, Environnement Faucon et UQROP) est inhabituel, surtout concernant un faucon pèlerin qui a été suivi pendant 2 ans par de nombreuses personnes, tant sur le terrain que sur les médias sociaux. Quelqu'un m'a fait remarquer que je ne m'adressais peut-être pas aux bonnes personnes. Je suis confiant que je me suis adressé aux personnes les mieux placées pour savoir ce qui s'est passé mais elle n'a pas tout à fait tort. Le simple fait que 3 faucons pèlerins décédés près de Montréal de la grippe aviaire figurent dans une base de données fédérale sur un virus ayant d'importants impacts économiques (plus de 4,6 millions d'oiseaux d'élevage euthanasiés au Canada, chiffre de 2022 d'après La semaine verte) et possiblement des impacts à venir sur la santé humaine illustre que ces décès ont une portée qui dépasse le cadre local. Il n'est pas totalement exclu qu'il y ait eu des consignes de discrétion venues d'en haut mais on peut aussi penser que les acteurs locaux aient décidé par eux-mêmes de rester discrets sur ces décès.
En ce qui me concerne, compte tenu que j'ai suivi P04 dans mon blogue et sur Facebook depuis sa relâche sous le pont Jacques-Cartier à l'été 2022 jusqu'à ses préparatifs pour avoir ses propres petits ce printemps, en passant par ses interférences avec la nidification 2023, il n'était pas concevable que je cache la nouvelle de son décès.
Si effectivement ce n'est pas seulement P04 qui est décédée mais également un mâle, cela implique que 2 couples se sont succédé au pont Jacques-Cartier sur une courte période. Se sont succédé ou ont coexisté ? D'après le tableau de bord, le décès d'un premier couple (si l'information que ces décès ont bien eu lieu au pont Jacques-Cartier est confirmée) aurait eu lieu autour du 1er avril; or le 7 avril j'ai observé un couple à l'église Sainte-Brigide. Si un nouveau couple a profité du vide laissé par la mort du 1er couple pour s'installer sous le pont Jacques-Cartier sans avoir été présent préalablement, on peut non seulement remarquer que le remplacement s'est fait très rapidement mais il faudrait aussi expliquer comment il se fait qu'un endroit associé à P04 mais apparemment non retenu par elle (l'église Sainte-Brigide) soit visité par la nouvelle femelle. Une possibilité est que le mâle du 2ième couple était l'ancien mâle de P04 et que P04 est décédée avec un nouveau mâle. Ce qui pourrait suggérer que la nouvelle femelle a 'volé' à P04 son mâle ainsi que le territoire situé du côté de Montréal, puis que P04 s'est trouvé un nouveau mâle et se préparait à nicher du côté de Longueuil. Se pourrait-il que sans la grippe aviaire, 2 couples de faucon pèlerin auraient niché au pont Jacques-Cartier ? On ne le saura jamais mais j'ai déjà partagé avec plusieurs personnes ma conviction que ce pont a la capacité d'accueillir 2 couples, en raison de sa longueur (2,7kms) et de la séparation naturelle en 2 parties par l'ile Sainte-Hélène.
Cet article sera mis à jour si d'autres informations me parviennent.