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jeudi 9 avril 2020

Changement de mâle à l'Université de Montréal et premier oeuf

Cet article a été publié le 27 avril 2020. Éole n'a pas été revu à cette date.

Le 5 avril vers 9h le faucon pèlerin mâle de l'Université de Montréal (Éole) est observé pour la dernière fois au nichoir.
Le 6 avril peu après 8h un nouveau mâle rend visite à la femelle (Eve), alors dans le nichoir.
Le 7 avril à 18h30 Eve pond son premier œuf.

Voici les événements principaux qui seront développés dans cet article.

À noter qu'en raison du Covid-19 aucune observation n'a été faite sur place pendant cette période riche en changements. En particulier l'intégralité de cet article est basé sur les observations faites par la caméra de Faucons de l'UdeM. Mes remerciements vont à Eve Belisle pour avoir mis en place le nichoir et les caméras et maintenir le tout en fonctionnement et à Sophie Lapierre pour opérer la caméra (ainsi que Paul Brunelle occasionnellement). Je remercie également Huguette Lenoir pour m'avoir transmise ses notes ainsi que Lise Vaillancourt pour sa documentation des évènements sur la page Facebook de Faucons de l'UdeM (dans la section "publication des visiteurs"). 

5 avril: dernière apparition d'Éole et première nuit au nichoir pour Eve

Eve apparait à 6h10 au nichoir. Elle y est rejoint à 6h18 par Éole qui lui offre une proie. Éole visite ensuite le nichoir de 8h32 à 8h37 puis de 9h02 à 9h09. Il ne sera plus revu.
Éole à 8h33 (crédit: http://fauconsudem.com/)
Eve revient au nichoir à 11h26, qu'elle quitte à 13h03 pour aller se désaltérer dans une flaque d'eau. Elle a par la suite été la plupart du temps suivie par la caméra à différents perchoirs: bras de la caméra et à l'étage au-dessus. Elle appelait par intermittence.

Vers 19h le comportement d'Eve suggère la présence d'un autre faucon.  Eve est sur le bras de la caméra de 18h à 18h42. À 18h46 elle est de retour au nichoir, elle bouge et regarde le ciel. Elle quitte à 18h50. La caméra la retrouve à 18h54 un étage au-dessus du nichoir, au coin des façades "nichoir" et "Polytechnique". Elle y reste jusqu'à 19h06. À 19h07 elle visite brièvement le nichoir, le bec ouvert, apparemment en train de vocaliser.

Eve (crédit: http://fauconsudem.com/)

À 19h14 elle est de retour sur le bras de la caméra d'où elle surveille quelque chose au-dessus d'elle.

Eve à 19h15 (crédit: http://fauconsudem.com/)
Elle quitte le bras de la caméra à 19h18 en direction de la façade donnant vers l'ancienne chapelle. Elle revient à 19h33 sur le perchoir du nichoir, où elle était toujours à minuit.


6 avril: apparition du nouveau mâle

Au matin du 6 avril le fait qu'Éole n'avait pas été revu durant la journée précédente était intrigant sans plus: après tout la caméra ne permet de voir qu'une faible partie de ce qui se passe près du nid. Mais Éole avait l'habitude de visiter le nid tôt le matin. Or à 8h il ne s'était toujours pas présenté.

Puis à 8h08, coup de théâtre: Eve arrive au nid suivi d'un mâle non bagué. Le nouveau mâle - surnommé par la suite Sphinx) s'approche très près d'Eve qui est au nichoir, tout en restant sur ses gardes.  Les archives de la caméra ne permettent pas de reconstituer a posteriori les évènements puisqu'elles étaient en panne de 6h8 à 8h35 mais  Faucons de l'UdeM a publié une vidéo regroupant quelques unes des scènes de cette première rencontre.

Premières rencontres entre Eve et Sphinx (vidéo de Faucons de l'UdeM)

Tel que montré dans la vidéo, à 8h33 Sphinx se permet même de visiter le nichoir en l'absence d'Eve. Lorsque celle-ci il revient il commence par discuter avant d'opter prudemment pour la fuite lorsqu'Eve s'avance vers lui. Il était de retour sur le perchoir du nichoir à 8h36.

Le fait que les 2 faucons soient non bagués complique significativement leur identification mais Sphinx a continué ses visites durant la journée. Voici quelques images de la caméra qui montre les 2 faucons ensemble:

Rencontre entre Sphinx et Eve, 13h21 (crédit: http://fauconsudem.com/)

Rencontre entre Sphinx et Eve, 19h43 (crédit: http://fauconsudem.com/)

Très vite Sphinx a commencé à creuser une cuvette dans le nichoir, montrant par là qu'il reconnaissait le nichoir comme un endroit possible où nicher. Ce comportement a pu suggérer que ce faucon était l'un des 3 faucons non bagués qui avait déjà niché à l'université mais cette théorie sera abandonnée plus tard. 

À noter aussi que les nids de branche de l'Oratoire ont continué de recevoir la visite d'au moins un faucon comme le montre cette photo captée par la caméra:
Un faucon à l'Oratoire, 19h10 (crédit: http://fauconsudem.com/)

7 avril: ponte d'un premier œuf 

Ce jour-là Sphinx continue ses visites. Les notes de Huguette Lenoir répertorient 15 apparitions du mâle de durée variable. Voici des photos de 2 d'entre elles:

Eve et Sphinx, 10h30 (crédit: http://fauconsudem.com/)
Eve et Sphinx, 15h02 (crédit: http://fauconsudem.com/)

La plus longue présence de Sphinx est de plus de 2h, de 17h25 à 19h28.  Durant cette période les images d'archive montrent presque toujours les 2 faucons, Eve à l'intérieur du nichoir et Sphinx à droite sur la corniche.

Eve et Sphinx, 18h (crédit: http://fauconsudem.com/)

C'est durant cette période qu'Eve a pondu son premier œuf, à 18h30 précisément. Voici la vidéo de la ponte par Faucons de l'UdeM (lien vers l'annonce Facebook):

Ponte du premier œuf, vidéo de Faucons de l'UdeM

À titre de comparaison, en 2018 Eve avait pondu son premier oeuf le 5 avril et en 2019 le 11 avril  avec une première nuit au nichoir le 5 avril.

 

Qu'est-il arrivé à Éole?

Réponse courte: on l'ignore. Mais ce n'est pas la première fois qu'Éole disparait de l'université de Montréal en période de nidification...

Des précédents

Le 7 avril vers 9h Éole est vu pour la dernière fois à l'université de Montréal.
Le 7 avril vers 13h un nouveau mâle rend visite à la femelle, alors dans le nichoir.
Le 10 avril la femelle pond son premier œuf.

Cela ressemble beaucoup au début de l'article, n'est-ce pas? Cela s'est passé en 2015, la femelle était Spirit et le nouveau mâle a été baptisé Arthurin, voir cet article pour le changement de mâle et celui-ci pour la ponte du 1er œuf. Éole est réapparu à l'Université de Montréal début novembre après une nidification réussie... à l'église Saint-Marc!

Contrairement à aujourd'hui on n'avait pas été pris par surprise et on savait où Éole se trouvait. Retour en arrière: le 31 mars 2014 Samuel Denault, un ornithologue professionnel, qui gardait un oeil sur un nid de corbeau près de chez lui à l'incinérateur des Carrières signalait que celui-ci avait changé de propriétaire: les nouveaux propriétaires étaient un couple de faucon pèlerin. Quelques jours plus tard le mâle a été identifié comme étant Éole alors que la femelle - non baguée - était baptisée Eve. Après l'échec de la tentative de nidification à l'incinérateur des Carrières, Éole a pris le contrôle de l'Université de Montréal à l'automne (son père Roger a été vu la dernière fois un jour après la première visite documentée d'Éole) et s'enlignait vers une nidification avec sa mère lorsqu'il a disparu le 7 avril 2015.

Éole a refait le coup de la disparition en 2016 mais dans un contexte différent.  Cette année-là le couple de faucon pèlerin formé par Spirit et Éole a été attaqué à répétition par plusieurs faucons pèlerins. Le 1er mai, Éole - blessé au dos quelques jours plus tôt - était remplacé par un autre faucon pèlerin surnommé Bret, voir cet article. Éole était retrouvé quelques jours plus tard à l'incinérateur des Carrières où il entamait une autre nidification, une nidification qui bien que très tardive a produit 2 fauconneaux!  Éole était de retour à l'université de Montréal dès la mi-juillet.

À noter que sans le signalement par Samuel Denault du nid de l'incinérateur des Carrières on n'aurait peut-être jamais su où Éole était durant ses absences. Se pourrait-il qu'Éole ait à nouveau une double vie cette année? On ne peut pas totalement l'exclure mais le contexte est un peu différent. En passant de l'incinérateur des Carrières à l'Université de Montréal, Éole a gagné un site de nidification de bien meilleure qualité. Comme Eve n'a pas pu le rejoindre immédiatement à l'université il s'est retrouvé temporairement avec 2 femelles et a été forcé de faire un choix, ne pouvant pas contrôler les 2 territoires en même temps, d'où ses disparitions temporaires de l'université en 2015 et 2016. Il est plus difficile d'imaginer pourquoi Éole serait parti ailleurs cette année puisqu'il avait un bon site de nidification et la femelle qu'il avait choisi. Mais on n'est pas Éole!

Des signes précurseurs?

Il est important de rappeler qu'en raison du covid-19 aucune observation n'a été faite sur place dans les jours précédant la disparition d'Éole (ma dernière visite à l'Université de Montréal date par exemple du 18 mars et Eve Belisle - dont le bureau donne sur le nid - travaillait depuis chez elle). On ignore donc par exemple quel était le niveau d'intrusion (basé sur les années précédentes il est pratiquement certain qu'il y a eu des intrusions d'autres faucons pèlerins mais il aurait été intéressant de déterminer lequel des faucons était concerné, la fréquence des intrusions et la facilité avec laquelle l'intrus(e) était repoussé).

En revanche la caméra a été surveillée comme jamais. Les notes que m'a transmise Huguette Lenoir - qui inscrit méticuleusement chaque visite  et chaque accouplement, aidée par les autres participant(e)s du chat lorsqu'elle n'est pas présente  - ne montrent rien d'évident. Par exemple la veille de sa disparition Éole a été observé 13 fois, des visites qui sont réparties assez uniformément durant la journée.    Les notes indiquent qu'il a apporté 2 petites proies à 17h22 et 18h15;  il a également livré une proie le lendemain 5 avril à 6h18 d'après les observations de Lise Vaillancourt. Le seul chiffre un peu intrigant est le nombre quotidien d'accouplements. Ce nombre était de 6 le 27 mars et est passé à 3 ou moins les jours suivants. Pour certaines journées ceci peut s'expliquer par la météo (pluie, fort vent, etc). Mais le 4 avril la journée était plutôt belle, avec une vitesse moyenne du vent d'environ 18km/h d'après les données horaires de l'aéroport Trudeau. Pourtant seulement 3 accouplements ont été notés: à 12h06, 17h14 et 17h45 (le 3 avril un seul accouplement a été enregistré mais il a plu pratiquement toute la journée et le vent était plus fort; le 5 avril - jour de la disparition d'Éole - aucun accouplement n'a été enregistré). Il est cependant difficile de tirer une conclusion: à supposer que les nombres enregistrés reflètent les variations réelles (une hypothèse raisonnable si Eve et Éole n'ont pas changé leur routine), un nombre d'accouplements plus faible pourrait être causé aussi bien par Eve que par Eole, avec des implications possiblement différentes.

Quelques remarques

Toutes les théories sont envisagées pour expliquer la disparition d'Éole:
  • Un accident. Il suffit de penser à ce qui est arrivé à Porthos l'été dernier.
  • Un départ volontaire du à une double vie et par le fait qu'Éole était défié par un autre mâle à l'autre site.
  • Une prédation. Parmi les rares prédateurs naturels du faucon pèlerin adulte on compte le grand-duc d'Amérique. Or lors de ma dernière visite le 18 mars j'ai de fortes raisons de penser que l'un d'eux se tenait près de la frontière entre l'École Polytechnique et le cimetière: les 2 faucons pèlerins ainsi qu'un grand nombre de corneilles ont en effet délogé un gros oiseau de proie non-identifié alors qu'un grand-duc a été photographié dans le cimetière plus tôt en après-midi (https://ebird.org/qc/checklist/S65954648).  
  • Une bataille avec un autre faucon pèlerin mâle. Une telle bataille pourrait avoir eu essentiellement 2 résultats: un décès ou un exil. Il est également possible, dans l'hypothèse d'une double vie, qu'Éole n'ait pas trop insisté, conscient qu'il ne pourrait pas contrôler 2 territoires.
Il est bien entendu regrettable que ces évènements aient eu lieu en plein confinement. Mais si Éole s'est retrouvé blessé au sol, les probabilités de le retrouver étaient faibles de toute façon (le cimetière qui jouxte l'université par exemple est très vaste) et un renard ou un autre prédateur terrestre l'aura probablement rapidement trouvé (rappelons qu'il n'y avait pas nécessairement de raison d'être inquiet avant le 6 avril au matin lorsqu'il ne s'est pas présenté et que l'évènement qui a causé sa disparition a  vraisemblablement eu lieu le 5 avril).  

Il est difficile de ne pas remarquer la coïncidence dans le temps entre la disparition d'Éole et l'arrivée de Sphinx, d'autant qu'il est probable que celui-ci était déjà présent en fin de journée le 4 avril. Ceci ne signifie pas nécessairement que Sphinx ait joué un rôle dans la disparition d'Éole. À cette période de l'année on observe des intrusions quasi-quotidiennes, sans compter les faucons qui restent à distance et qui ne sont pas repérables. Sphinx a pu profiter du vide laissé par Éole sans pour autant être responsable de ce qu'il lui est arrivé. Bien entendu on ne peut pas exclure non plus la possibilité que Sphinx ait chassé Éole.

Le comportement d'Eve,  qui n'a pas chassé Sphinx, est aussi intéressant. Il est à noter qu'elle avait déjà toléré un mâle à proximité du nichoir le 26 mars 2019 avant de finalement le chasser le 5 avril 2019, voir cet article.  Ce comportement d'Eve signifie-t-il que le couple Éve/Éole n'était pas très soudé?







 

 

1 commentaire:

Unknown a dit…

Toujours très intéressant vos articles, et toutes les hypothèses qu'on y retrouve. Évidemment, Éole nous a laissé un bien grand vide lorsqu'on a réalisé son départ mais l'arrivée du nouveau mâle, aussi rapidement, nous a tous interpellé d'une manière ou d'une autre. Finalement, après quelques semaines, nous voici avec un nouveau couple à l'UdeM et avec l'espoir, peut-être, qu'Éole s'en soit sorti en changeant de territoire et de femelle. On le saura peut-être bien un jour.

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