Pages

lundi 13 mai 2024

A propos des mouches Carnus et de leur infestation du nid de faucon pèlerin de l'Université de Montréal

Depuis 2020 le couple de faucon pèlerin qui niche à l'Université de Montréal est affecté par une infestation de mouches mangeuses de sang qui a couté la vie à 2 fauconneaux en plus de possiblement détériorer la santé d'au moins un 3ième fauconneau et qui a entrainé plusieurs interventions humaines au nichoir pour tenter de limiter les dégâts. La mouche en question a été identifiée comme appartenant au genre Carnus. Cet article apporte quelques éléments d'information sur cette mouche à l'aube d'un possible nouvel épisode.

Organisation de l'article. Je commence par donner dans la section 1 quelques informations en bref sur la mouche. Je rappelle ensuite les épisodes d'infestation du nid de faucon pèlerin de 2020 à 2023 à l'Université de Montréal et (peut-être) à l'Oratoire Saint-Joseph. La section 3 est consacrée à une justification des affirmations faites dans la section 1 et à d'autres informations plus pointues sur la mouche. Finalement dans la section 4 je propose deux explications possibles pour l'infestation de mouche à l'Université de Montréal et j'explique pourquoi ce pourrait être préférable de ne pas intervenir et de laisser faire la nature. 

Remerciements: mes remerciements vont d'abord à Eve Belisle pour ses réponses à mes nombreuses questions et pour ses importantes contributions, dans le cadre de Faucons de l'UdeM qu'elle a créé, aux nidifications du faucon pèlerin à l'Université de Montréal via la mise en place de nichoirs et le partage des images par un système de caméras. Merci également au docteur Guy Fitzgerald de l'UQROP, à Jo-Annie Gagnon du Nichoir et à Marilou Skelling d'Environnement Faucon pour leurs réponses à mes questions.


1. En bref

  • La mouche Carnus Hemapterus, principal représentante du genre Carnus et la plus étudiée, mesure jusqu'à 2 mms et se présente à l'âge adulte sous 2 formes: une forme ailée et une forme non-ailée.  Les ailes seraient perdues après que l'adulte ait trouvé des oisillons dont il peut se nourrir du sang. Les femelles pondent des œufs dans le nid. Les larves passent l'hiver dans le nid où ils se nourrissent de débris organiques. La transformation de la larve en mouche adulte coïncide avec la naissance des oisillons. Les mouches disparaissent lorsque les plumes commencent à apparaitre chez les oisillons.
  • Les mouches atteindraient un nid de différentes façons: en naissant sur place d’œufs pondus l'année précédente, en arrivant en vol depuis l'extérieur ou en voyageant sur des proies. Il ne semble pas que les mouches soient transportées par les parents..
  • Les excréments des mouches sur les œufs favorisent le développement de bactéries dont certaines peuvent pénétrer à l'intérieur de l’œuf et causer la mort de l'embryon .
  • Le Nichoir, qui prend soin des oiseaux sauvages malades ou orphelins dans la région de Montréal  en vue de les retourner dans la nature (à l'exception de 2 catégories d'oiseau: les oiseaux de proie qui sont gérés par l'UQROP, et les pigeons) est familier avec un parasite correspondant à la description de la mouche Carnus (qui ne semble cependant pas avoir été formellement identifié en tant que tel), tant sous sa forme ailée que non-ailée (cette dernière forme est appelée 'mite' par Le Nichoir). Ce parasite est trouvé sur des oisillons apportés au refuge lorsque le nid a été accidentellement détruit et sur de jeunes oiseaux apprenant à voler et recueillis au sol. Ce parasite est surtout vu sur des étourneaux (formes ailée et non-ailée) mais les mites sont aussi rencontrées chez les cardinaux, merles et quiscales (cette liste a été donnée de mémoire et n'est donc possiblement pas exhaustive; à noter que comme les pigeons ne sont pas admis au Nichoir, on ne sait pas si cette proie très appréciée des faucons pèlerins est affectée par ce parasite). Un grand merci à Jo-Annie Gagnon, coordonnatrice des soins aux oiseaux au Nichoir, pour avoir pris le temps de répondre à mes questions. 
  • D'après le docteur Guy Fitzgerald de l'UQROP la mouche qui a infesté les fauconneaux à l'Université de Montréal est du genre Carnus mais en date de juin 2020 il restait à confirmer qu'il s'agissait de l'espèce Carnus Hemapterus. Il semble que le cas de l'Université de Montréal était le premier où ce parasite a été observé par la Clinique des oiseaux de proie (d'après Eve Belisle qui a beaucoup échangé avec le docteur Fitzgerald à ce sujet). (La mouche Carnus est cependant connue pour infester des nids de faucon pèlerin sur la côte est des États-Unis, voir cet article de mon blogue pour plus de détails.)

 

2. Rappel des évènements à l'Université de Montréal: 2020-2023

2020

Eve n'étant pas baguée il y aura toujours un léger doute sur son identification - d'autant que son mâle Éole (né en 2011 sur la tour de l'Université de Montréal et bagué) a eu une relation avec au moins 2 femelles différentes - mais il semble que la relation Éole/Eve ait débuté en 2014 à l'incinérateur des Carrières, voir cet article du blogue d'Eve Belisle (le nom d'Eve choisi par Richard Dupuis pour la femelle d'Eole ne s'était pas encore imposé). À l'automne 2014 Eole remplace son père Roger à l'Université de Montréal et a dès lors 2 compagnes: Eve et sa mère Spirit. En 2015 Eve et Eole mènent 4 fauconneaux à l'envol à l'église Saint-Marc et en 2016 2 fauconneaux à l'incinérateur des Carrières. En 2017 Eve parvient à chasser Spirit de l'Université de Montréal et devient la seule femelle d'Éole. En 2018 le couple Eve/Eole amène pour la première fois 4 fauconneaux à l'envol à l'Université de Montréal. Puis 4 autres en 2019.
 
Eole est vu pour la dernière fois par une caméra de Faucons de l'UdeM le 5 avril 2020 vers 9h du matin. Le 6 avril au matin un nouveau mâle - baptisé Sphinx - accompagne Eve jusqu'au nichoir. Le 7 avril à 18h30 Eve pond son premier œuf, voir cet article pour plus de détails. Au total 3 œufs seulement seront pondus avec des écarts inhabituellement longs entre les différents œufs. Dans un premier temps Sphinx ne participe pas à la couvaison, ce qui résulte en plusieurs périodes de plus de 2 heures où les œufs ne sont pas couvés;  ce n'est que le 25 avril que Sphinx commence vraiment à couver, voir cet article pour plus de détails.

À la surprise de beaucoup, malgré ces importantes perturbations de la couvaison, les 3 œufs éclosent les 23 et 24 mai! La dernière éclosion est particulièrement longue et difficile (œuf partiellement écrasé, sang visible), voir cet article

Lors de leurs premiers repas les fauconneaux peinent à rester debout; de plus des tâches noires sont visibles sous leurs ailes. Dans l'après-midi du 27 mai des mouches sont aperçues (voir cette vidéo de Faucons de l'UdeM). En concertation avec la Clinique des oiseaux de proie, une intervention est programmée pour le lendemain matin mais il est trop tard pour le dernier-né, qui affaibli par sa difficile éclosion, est décédé durant la nuit ou tôt le matin. Le cadavre et les 2 survivants ont été amenés à la Clinique des oiseaux de proie par Eve Belisle. Les 2 fauconneaux encore vivants ont été traités à la Clinique puis replacés dans le nichoir l'après-midi du même jour. Un 2ième traitement a été administré aux fauconneaux sur la tour-même le lendemain. Voir cet article pour plus de détails.

Après avoir éte bagués le 16 juin et reçu par la même occasion un autre traitement contre les mouches, les 2 fauconneaux - 2 femelles baptisées Vanadis et Donna - ont effectué leurs premiers vols entre le 30 juin et le 9 juillet. Elles ont cessé d'être observés dans le voisinage du nid vers la mi-août - début septembre  (ce qui est tout à fait normal).

2021

En 2021 à la surprise générale le couple de faucon pèlerin choisit d'aller nicher dans un ancien nid de corbeau à l'Oratoire Saint-Joseph. Cela faisait quelques années que l'on voyait l'un ou l'autre des faucons dans l'un de ces nids de corbeau mais jusqu'à là le couple était toujours venu nicher sur la tour de l'Université de Montréal. Le 7 avril s'est produit une cassure brutale: les faucons ont brusquement cessé de fréquenter l'Université de Montréal et n'étaient plus que visibles à l'Oratoire Saint-Joseph où ils ont finalement niché. Dans cet article je passe en revue différents facteurs qui pourraient éclairer la décision du couple de déménager (un de ces facteurs est ce qui aurait pu être vu par le couple comme une prédation réussie par les humains sur un fauconneau qui était en réalité déjà mort mais ce n'était probablement pas le seul facteur).
 
Puisque ce nid n'était pas suivi par caméra on sait peu de chose sur cette nidification, sinon que 2 fauconneaux seulement ont atteint le stade où ils étaient visibles depuis le sol. On ignore en particulier combien d’œufs ont été pondus, combien ont éclos et ce qui est arrivé aux éventuels fauconneaux en surnombre. Un des 2 fauconneaux était un mâle (baptisé Jean en l'honneur de Me Jean Masson qui durant sa vie était fortement impliqué dans la protection des fauconneaux nés sur la tour de la Bourse) et l'autre une femelle (baptisée Jacinthe). Seul le mâle a pu être bagué, en profitant qu'il s'est retrouvé au sol à l'occasion de son premier vol.
 
Fait remarquable: Jean s'est fracturé par 2 fois une aile! Il a été trouvé au sol blessé une première fois à Montréal pas très loin du nid le 29 juillet puis près d'Utica dans l'état de New-York le 8 novembre, voir cet article. Il a à chaque fois été soigné puis relâché.

Il n'est pas clair si les mouches ont perturbé la nidification cette année-là mais on peut remarquer 2 choses potentiellement suspectes dans cette nidification:
  • Faible nombre de fauconneaux. Ce nombre contraste avec la production d'Eve lors des 3 années précédentes: 4 fauconneaux en 2018 et en 2019, 3 fauconneaux en 2020 (seulement 3 œufs avaient été pondus cette année-là, possiblement à cause du changement de mâle qui a coincidé avec le début de la ponte; un des fauconneaux est mort peu de temps après sa naissance). Ce faible nombre pourrait être attribuable à une autre cause que les mouches, par exemple à une difficulté d'adaptation au nouveau type de nid (mais Eve avait eu 4 fauconneaux lorsqu'elle avait niché dans un endroit assez similaire à l'église Saint-Marc en 2015) ou à de la prédation. Mais on ne peut pas exclure que ce faible nombre soit attribuable à un ou plusieurs  décès causés par les mouches comme en 2020 et en 2023.
  • Le double accident de Jean. La première année est difficile pour les jeunes faucons pèlerins et une proportion non négligeable n'y survit pas.  Les juvéniles peuvent être victime d'accidents, être tué par un autre oiseau de proie, mourir de maladie ou tout simplement mourir de faim faute d'avoir su développer une bonne technique de chasse.  Les chances de retrouver un faucon pèlerin blessé ou décédé sont a priori faibles compte tenu qu'il peut se retrouver à un endroit peu fréquenté (comme par exemple un toit) et/ou être rapidement mangé par un autre animal. Les 2 accidents de Jean pourraient s'expliquer par le destin normal des jeunes fauconneaux, doublé de la chance d'avoir été par 2 fois trouvé par un bon Samaritain. Mais on ne peut pas totalement exclure que Jean souffrait d'une fragilité quelconque (d'ordre neurologique ?) qui aurait pu résulter de l'exposition à des mouches ou aux bactéries qui les accompagnent et qui l'aurait rendu plus susceptible d'être victime d'un accident.
D'après Eve Belisle, au moment du baguage de Jean, les mouches n'ont pas été spécifiquement recherchées mais l'examen de routine n'a rien révélé d'anormal.

2022

Le 21 mars 2022 Sphinx est remplacé par un nouveau mâle après une courte bataille dans le nichoir 1.  Ce nouveau mâle est baptisé Miro, voir cet article de blogue pour plus de détails.

Du 16 au 23 avril 2022 Eve pond 4 œufs dans le nichoir 1. Entre le 25 et le 27 mai 3 des 4 œufs éclosent. Le baguage (et la mesure du poids qui vient avec) effectués le 17 juin révèlent que les fauconneaux sont 2 femelles et un mâle, nommés Véga, Mira et Sirius. Quelques mouches ont été trouvées sur les fauconneaux à cette occasion mais l'infestation était beaucoup plus modérée qu'en 2020 et en 2023, en particulier il n'y a eu ni décès ni nécessité de traiter les fauconneaux.
 
Les fauconneaux effectuent leurs premiers vols à partir du 3 juillet et sont tous capables de remonter sur la tour le 9 juillet, voir cet article pour plus de détails.  Malheureusement le 20 août Faucons de l'UdeM annonçait que le corps de Mira avait été trouvée sans vie au fond de la grande cheminée de l'École Polytechnique, voir aussi cet article.


2023 

Le 22 octobre 2022, Miro est remplacé par un nouveau mâle, baptisé Monsieur ou tout simplement M. Le 16 avril 2023 Eve pond le premier de 4 œufs dans le nichoir 2. C'est la première fois qu'une nidification a lieu dans ce nichoir.

Sur les 4 œufs pondus, seulement 2 éclosent, le 28 mai. C'est la première fois qu'autant d’œufs n'éclosent pas à l'Université de Montréal dans des circonstances en apparence normales (en particulier il n'y a apparemment pas eu d'interruption significative de la couvaison). Lorsque examinés par mirage à la Clinique des oiseaux de proie, les 2 œufs non éclos ne montraient aucun développement embryonnaire.  

Le 31 mai un des fauconneaux décède. Les mouches Carnus sont identifiées comme la cause probable du décès dans cette publication Facebook de Faucons de l'UdeM, qui indique en outre que le 2ième fauconneau semble aussi atteint: difficulté à se tenir debout, taches noires sous les ailes.

Le 2 juin, une intervention est effectuée par Faucons de l'UdeM pour débarrasser le fauconneau survivant de ses mouches et le nourrir. Le fauconneau reprend du mieux suite à cette intervention.
 
Le 17 juin Faucons de l'UdeM annonce sur Facebook que le fauconneau souffre d'une anomalie de la croissance des ailes. Possiblement en raison de cette anomalie, le fauconneau perd la vie le 4 juillet lors d'une chute d'une vingtaine d'étages.

Pour plus de détails sur cette nidification 2023, voir cet article de blogue.



3. Plus sur Carnus Hemapterus

La fin de cette section contient une courte liste de publications qui sont référencées dans les sous-sections suivantes.

Généralités

D'après Wikipédia [6] le genre Carnus est composé de 5 espèces de mouches, toutes des parasites d'oiseau.  L'espèce Carnus Hemapterus est la seule du genre Carnus à être largement répandue en Europe et dans les régions froides et tempérées d'Asie et d'Amérique du Nord d'après Wikipédia [7]. Carnus Hemapterus est aussi la plus étudiée. Le premier point de la section 1 de cet article provient en grande partie de Wikipédia [7].  Le fait que la mouche perd typiquement ses ailes après avoir trouvé un hôte est mentionné par Valera et al.  [3].  
 
Une photo en gros plan d'une mouche Carnus prélevée sur un fauconneau en 2020 a été publiée par le Dr. Fitzgerald en commentaire de cette publication Facebook de Faucons de l'UdeM (rappelons que cette mouche mesure autour de 1,5mm). 

Quelle est la durée de vie d'une mouche ?

Veiga et al. [9] ont déterminé que la durée de vie moyenne d'une mouche Carnus Hemapterus (depuis le moment où la larve s'est transformée en mouche) est d'environ 55 heures, mais c'était en l'absence de leur nourriture préférée, c'est-à-dire d'oisillon gorgée de sang. On peut imaginer plus généralement que les mouches décèdent lorsque leur nourriture devient inaccessible, c'est-à-dire lorsque les oisillons acquièrent leur plumage. En effet, comme les mouches ont perdu leurs ailes, elles peuvent difficilement chercher une autre source d'alimentation, et de toute façon les oisillons ne sont présents qu'à certains mois de l'année. Par contre si on considère l'ensemble du cycle de vie de la mouche, elle pourrait survivre sous forme de larve pendant plusieurs années si le nid d'oiseau n'est pas utilisé. 

Comment les mouches colonisent-elles un nid ?

Une partie des mouches trouvées dans un nid d'oiseau est constituée de celles qui y sont nées. Mais pour cela il fallait qu'il y ait des mouches l'année précédente pour pondre les œufs. Pour coloniser un nouveau nid, les mouches arriveraient soit sur des proies, soit en volant. Poulin [2] écrit ''Les immigrants trouvent les sites de reproduction de leur hôte en volant ou en étant transportés sur les proies, mais probablement pas en s'accrochant aux chouettes adultes, car ces mouches n'ont toujours été trouvées que sur des oisillons [3 références omises]'' (d'après Tomas et al [8], au moins chez certaines espèces d'oiseau, Carnus Hemapterus se nourrirait aussi sur l'oiseau couveur; mais l'adulte serait alors plus une victime collatérale de l'infestation que sa cause). Incidemment la réponse du Nichoir semble confirmer que ces mouches ne s’intéressent qu'aux oisillons ou aux jeunes oiseaux qui viennent de quitter le nid. Dans sa recherche, Poulin [2] a constaté que le nombre de mouches ailées restait constant durant la nidification des chouettes, malgré qu'une partie de ces mouches perdent leurs ailes, ce qui indique que la population ailée est continuellement alimentée soit par des larves nées sur place et qui se métamorphosent en mouche, soit par l'arrivage par la voie des airs de mouches venues de l'extérieur.

La gravité d'une infestation déterminée par la génétique des parents oiseaux ?

Tout comme certains humains se font plus piquer que d'autres par les maringouins, les individus oiseau ne seraient pas égaux face aux mouches Carnus. Une intrigante étude par Roulin et al. [1] suggère que chez l'effraie des clochers, le nombre de mouches trouvées sur les oisillons (et donc l'intensité de l'infestation) varie en fonction de si le nichoir était utilisé ou pas l'année précédente mais aussi en fonction de la proportion de noir sur le plumage de la femelle! (le plumage de l'effraie des clochers varie de blanc immaculé à fortement taché de noir; de plus la femelle est la seule à couver les œufs et les oisillons). Plus la femelle est tachetée, moins il y a de mouches sur les oisillons et moins ces mouches sont fécondes. Selon les auteurs qui s'appuient sur des études similaires, les ornements des oiseaux (dans ce cas-ci, la proportion de tâches noires dans le plumage de la femelle) fourniraient aux partenaires potentiels des informations sur la santé d'un individu (dans ce cas-ci la résistance aux parasites) et les aideraient à décider s'ils veulent former ou non un couple avec cet individu. De plus il a été montré que ces traits sont héritables génétiquement parlant.
 

Un produit anti-mouches sécrété par les plumes de certains oiseaux ?

Pour expliquer que certaines chouettes ont un nombre plus réduit de mouches sur leurs oisillons, il a été spéculé que les plumes de certains individus contiendraient une substance toxique pour les mouches. Dans [2] Poulin écrit ''Un test simple de cette hypothèse serait de mesurer las survie et le succès de reproduction des mouches en présence et absence de plumes, car il a été proposé que celles-ci contiennent des substances toxiques pour les ectoparasites (Winkler, 1993)''. L'article cité (Winkler [5]) étudie l'hirondelle bicolore qui a la particularité d'inclure dans son nid des plumes d'autres oiseaux. Winkler.a constaté que dans les nids où ces plumes étaient retirées, les oisillons avait une croissance moins rapide et étaient davantage infestées par des parasites. S'il est vrai que les plumes de certains oiseaux contiennent une substance toxique pour les mouches, on peut imaginer que la production ou non de cette substance (ou son intensité) est déterminée par la génétique de l'oiseau.
 

Effet indirect des mouches sur le développement embryonnaire

Les mouches Carnus Hemapterus pourraient avoir un effet indirect nuisible aux fauconneaux avant même leur naissance. En effet des études citées par Wikipédia [7] (l'une d'elles est Tomas et al. [8]) ont montré que les excréments des mouches sur les œufs favorisent le développement de bactéries, qui à cause de la porosité de l’œuf peuvent pénétrer à l'intérieur et s'attaquer à l'embryon.

Références

Carnus Hemapterus fait l'objet de nombreux articles scientifiques. Pour donner une idée de leur nombre, une recherche effectuée le 4 mai 2024 dans Google Scholar avec le mot-clé ''Carnus Hemapterus'' a donné 549 résultats: il n'était évidemment pas question pour moi de tout lire! Voici quelques articles que j'ai soit lu, soit simplement parcouru le résumé. Les références sont données sans ordre particulier.
  • [1] A. Roulin, C. Riols, C. Dijkstra et A.-L. Ducrest: ''Female plumage spottiness signals parasite resistance in the barn owl (Tyto alba)'', Behavioral Ecology vol. 12 No. 1: 105-119 (2001)
  • [2] A. Roulin: ''Cycle de reproduction et abondance du diptère Carnus Hemapterus dans les nichées de chouettes effraies Tyto alba'', Alauda, revue internationale d'Ornithologie vol. 66 (4) 265-272 (1998). Fichier .pdf disponible sur le site ''The diptera Site'' à ce lien.
  • [3] F. Valera, A. Cassa-Crivillé and H. Hoi: ''Interspecific parasite exchange in a mixed colony of birds'', The Journal of Parasitology' vol. 89 (2) 245-250 (2003)
  • [4] Danks HV. ''LONG LIFE CYCLES IN INSECTS'', The Canadian Entomologist. 1992;124(1):167-187. doi:10.4039/Ent124167-1 
  • [5] D. W. Winkler: ''Use and importance of feathers as nest lining in Tree Swallows (Tachycineta bicolor)'', The Auk vol. 110 (1): 29-36 (1993)
  • [6] Wikipédia: ''Carnus (fly)''. Lien (en anglais, cet article n'est pas disponible en français)
  • [7] Wikipedia: ''Carnus Hemapterus''. Lien (en anglais, cet article n'est pas disponible en français).
  • [8] G. Tomas, D. Martin-Galvez, C. Ruiz-Castellano, M. Ruiz-Rodriguez, J.M. Peralta-Sanchez, M. Martin-Vivaldi, j.j. Soler: ''Ectoparasite activity during incubation increases microbial growth on avian eggs'', Microbial ecology vol. 76 p. 555-564 (2018)
  • [9] J. Veiga, E. Moreno, J. Benzal et F. Valera: ''Off-host longevity of the winged dispersal stage of Carnus Hemapterus (insecta: diptera) modulated by gender, body size and food provisioning'', Parasitology vol 146 p. 241-245 (2018).
     


4. Discussions

4.1. Première théorie pour la cause de l'infestation à l'Université de Montréal: un ou les 2 adultes ont une mauvaise résistance génétique face cette mouche

Cette théorie est basée sur l'observation que l'intensité de l'infestation et la fécondité des mouches semblent dépendre de la génétique de la femelle chez l'effraie des clochers. Je suppose ici que quelque chose de similaire se passe chez le faucon pèlerin. Pour simplifier, je suppose de plus que le mécanisme à l’œuvre est la présence d'une substance toxique pour les mouches dans les plumes (c'est une hypothèse qui est envisagée mais qui n'est pas prouvée), la production de cette toxine dépendant de la génétique. La toxine ne tuerait pas nécessairement les mouches mais les rendrait moins efficaces et nuirait à leur reproduction.

Contrairement à l'effraie des clochers, chez le faucon pèlerin le mâle et la femelle couvent tous les deux les œufs et les oisillons. Si les 2 parents secrètent la toxine, l'effet protecteur contre les mouches sera maximal et on peut imaginer que toutes les mouches seront neutralisées car constamment en contact avec la toxine. Si un seul parent sécrète la toxine, les mouches pourraient reprendre du mieux lorsque l'autre parent - celui qui ne sécrète pas la toxine - prend place dans le nid: dans ce cas il pourrait soit y avoir aucun effet des mouches sur les fauconneaux, soit un effet modéré. Si aucun des adultes ne sécrète la toxine, les mouches ont le champ libre et les effets négatifs sur les oisillons seront maximaux. Je vais essayer d'argumenter que les 2 membres du couple actuel pourraient ne pas sécréter la toxine. Pour cela, examinons les différents faucons pèlerins adultes impliqués:

Eve

C'est la femelle du couple actuel. Rien n'indique qu'il y a eu un problème de mouche dans ses nidifications jusqu'à l'arrivée de Sphinx en 2020. En 2018 et 2019, Eve a niché sur la tour de l'Université de Montréal sous l’œil des caméras et ses juvéniles ont été examinés lors de leur baguage sans qu'aucune anomalie ne soit constatée. En 2015 (sous la réserve habituelle qu'il n'y a pas eu d'erreur d'identification) elle a amené à l'envol 4 fauconneaux à l'église Saint-Marc. De 2015 à 2019, son mâle était Eole, fils de Spirit (il est intéressant de noter que les nidifications de Spirit ne semblent pas non plus avoir été impactées par les mouches). Se pourrait-il que ce soit Éole qui ait protégé les fauconneaux d'Eve contre les mouches ?
 

Sphinx et M

Les 2 infestations sévères de 2020 et 2023 ont eu lieu sous le règne des mâles Sphinx et M respectivement. Il est intéressant de noter qu'avant l'infestation de 2023, Eve Belisle était d'avis que M était Sphinx; cependant comme il n'y avait pas consensus au sein de l'équipe, un nouveau nom a été donné au mâle. Que M et Sphinx soient ou non 2 individus distincts ne change finalement pas grand chose: les 2 mâles pourraient ne pas produire la toxine.
 

Miro

C'était le mâle du couple en 2022. Lors du baguage des fauconneaux, des mouches ont été trouvées sous leurs ailes mais l'infestation était beaucoup moins sévère qu'en 2020 et 2023, en particulier aucune intervention au nichoir n'a été nécessaire.
 
 
Il parait donc possible que Eve, Sphinx et M ne secrètent pas de toxine contre ces mouches, contrairement à Eole et à Miro. Si cette théorie est correcte, on peut espérer une amélioration de la situation lors du prochain changement dans la composition du couple, que ce changement concerne le mâle ou la femelle. Pour simplifier j'ai raisonné en termes de toxine générée par les plumes mais ce raisonnement peut s'étendre à d'autres mécanismes anti-parasitaires.


4.2. Deuxième théorie pour la cause de l'infestation à l'Université de Montréal: infestation des nombreux nids d'étourneaux près des nichoirs de faucon pèlerin

Selon cette théorie, les mouches Carnus auraient commencé par infester les nombreux nids d'étourneaux du pavillon Roger Gaudry non loin du nichoir puis les mouches auraient ''découvert'' le nid de faucon pèlerin (il n'est pas clair comment cette information se transmettrait d'une année à l'autre mais si les mouches sont présentes en grand nombre il est inévitable que certaines découvrent les fauconneaux; il est possible aussi que le nettoyage des nichoirs à l'automne ne parvienne pas à tuer tous les œufs/larves de mouches). Cette théorie s'appuie sur le fait que d'après la littérature scientifique les nids d'étourneaux semblent être particulièrement infestés par ces mouches, une information que semblent confirmer les données du Nichoir. Si cette théorie est correcte, la mauvaise nouvelle est que ces mouches sont probablement là pour rester, du moins tant qu'il n'y a pas de travaux d'envergure pour refaire les façades dans ce secteur (une lueur d'espoir est que l'Université de Montréal semble actuellement engagée dans de tels travaux dans d'autres secteurs du campus). 
 
Un point faible de cette théorie est que si le nombre réduit de fauconneaux à l'envol à l'Oratoire Saint-Joseph a été causé par les mouches, cette théorie n'explique pas leur présence là-bas. Il faudrait aussi accepter la coïncidence entre le remplacement d'Éole par Sphinx et la découverte du nid de faucon pèlerin par les mouches (à moins que les mouches aient ''senti'' le sang du fauconneau qui a eu de la difficulté à éclore ?)


4.3. Quelques arguments en faveur d'une non-intervention

Les fauconneaux qui naissent sur la tour de l'Université de Montréal ont la particularité de se retrouver dans un grand nombre de foyers via les écrans, ce qui crée envers eux un attachement bien compréhensible.  Mais il n'en reste pas moins que ce sont des animaux sauvages. Et si au Québec on peut être puni pour des mauvais soins à un animal de compagnie, pour les animaux sauvages  la loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune stipule que ''Nul ne peut déranger, détruire ou endommager le barrage du castor ou les œufs, le nid ou la tanière d’un animal'' (c'est moi qui souligne). Des exceptions sont prévues par la loi mais à ma connaissance aucune ne permet à un particulier d'intervenir sur un nid sous prétexte qu'il s’inquiète pour ses occupants: une autorisation du Ministère est nécessaire. Le cas du nid de faucon pèlerin de l'Université de Montréal est un peu spécial puisqu'il semble que les interventions - toujours effectuées en consultation avec des experts - soient tolérées par le Ministère. Je pense néanmoins que c'est une situation où il faudrait laisser faire la nature et je présente quelques arguments en ce sens.   
  • Une intervention sans l'autorisation explicite du ministère, qui plus est à un nid aussi médiatisé que celui de l'Université de Montréal, transmet le message erroné que n'importe qui peut intervenir sur un nid à partir du moment où il a des inquiétudes sur la santé de ses occupants. Cela peut mettre d'autres nids - et pas seulement de faucon pèlerin - à risque de dérangement par des personnes pensant bien faire.
  • Une intervention ne garantira pas nécessairement la bonne santé des fauconneaux comme l'a montré tristement ce qui s'est passé en 2023. Les fauconneaux pourraient déjà avoir des dommages résultant de l'anémie provoquée par les mouches au moment où l'intervention est effectuée. Une solution pourrait être une intervention préventive avant que les symptômes soient constatés mais une telle intervention a davantage de chance de nécessiter une autorisation explicite du ministère; ne pas oublier non plus que les bactéries favorisées par les déjections des mouches pourraient avoir affecté les fauconneaux alors qu'ils étaient encore dans leur œuf.
  • Un fauconneau qui survivrait grâce à l'intervention humaine pourrait avoir hérité du bagage génétique favorisant ces mouches (surtout si ses 2 parents ont le ''mauvais'' gène), ce qui pourrait condamner ses petits à lui s'il forme un couple. Autrement dit, on ne peut pas exclure que le drame qui se joue dans le nichoir est un mécanisme de sélection naturelle destiné à renforcer la protection de la population de faucon pèlerin face à ce parasite en limitant la descendance d'individus mal armés génétiquement pour lutter contre lui.
  • Les parents faucon pèlerin ne semblent pas totalement dépourvus face à ces mouches. Par exemple dans cette vidéo publiée par Faucons de l'UdeM on voit le mâle donner de petits coups de bec sur le corps d'un fauconneau nouveau-né, il n'est donc pas inconcevable que les adultes puissent retirer eux-même des mouches. Encore faut-il qu'ils réalisent que les mouches sont le problème. Or à l'Université de Montréal jusqu'à présent, à chaque fois qu'il y a eu décès d'un fauconneau à cause des mouches, des êtres près de 1000 fois plus grand que les mouches ont fait irruption au nichoir: on pourrait comprendre que les faucons pèlerins aient du mal à réaliser que ceux sont les petites mouches qui sont le problème! Il est malheureusement possible qu'une ou plusieurs saisons sans aucun fauconneau survivant soient nécessaires. Ces échecs pourraient possiblement aussi entrainer la dissolution du couple puis la formation d'un nouveau couple, ce qui pourrait être une autre façon de régler le problème si la théorie 1 est correcte.
  • Les faucons pèlerins attrapent occasionnellement des insectes, même si on peut penser qu'ils les préfèrent en vol et de taille plus grosse que la mouche Carnus. 
  • L'irruption au nid d'humain dans la phase la plus critique de la nidification, celle où il y a des fauconneaux sans défense, pourrait potentiellement avoir pour effet d'inciter le couple de faucon pèlerin à chercher un endroit plus sécuritaire où nicher. En allant nicher à l'Oratoire Saint-Joseph en 2021, Eve a démontré qu'elle avait cette capacité à trouver un endroit alternatif. (Il est parfois question d'alternance entre des sites de nidification mais cette alternance se manifeste à mon avis surtout pour les sites naturels où le nid est attaquable par des prédateurs terrestres. Si le couple de faucon pèlerin trouve un endroit sécuritaire où nicher, je ne vois pas de raison pourquoi il ne l'utiliserait pas à nouveau les années suivantes et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour la tour de l'Université de Montréal jusqu'en 2020). Si Eve décidait de nicher ailleurs qu'à l'Université de Montréal, il est possible que l'on perde pour longtemps la capacité à suivre par caméra leur nidification (rappelons que les faucons pèlerins ne sont pas revenus nicher à l'Université de Montréal par choix en 2022 mais parce que des travaux se déroulaient sur la façade de l'Oratoire Saint-Joseph où ils avaient niché en 2021).

 

4.4. Divers

  • L'apport d'une proie dans le nichoir par un adulte (généralement un mâle) pourrait aussi potentiellement contribuer au problème. Le 26 avril 2020 Sphinx a par exemple trainé une proie sur les œufs comme s'il voulait les nourrir (source: vidéo Youtube de Faucons de l'UdeM partagée sur la page Facebook de Faucons de l'UdeM). Je me souviens avoir lu sur le clavardage de la caméra de Faucons de l'UdeM plus tôt cette année une phrase qui suggère que M aurait aussi amené une proie dans le nichoir, quoique avant la ponte des œufs. J'ignore comment se comportaient Miro et Éole à ce propos (Eole avait amené une proie dans le nichoir le 26 avril 2017 au moment où il y avait déjà des œufs mais c'était dans le contexte très particulier où ses 2 femelles se battaient dans le nichoir; on ne peut pas totalement exclure que l'apport de proie était relié à cet évènement exceptionnel). Je ne pense pas cependant que l'apport de proie dans le nichoir ait un effet très important sur la population de mouches: il faudrait déjà que la proie soit un juvénile et qu'elle soit infestée de mouches (non ailées puisque les mouches ailées pourraient de toute façon facilement se déplacer depuis la corniche où les proies sont mangées); de plus rappelons que seuls les adultes se nourrissent du sang des oisillons et qu'un œuf de mouche met 1 an à donner une mouche adulte: il ne peut donc pas y avoir d'explosion du nombre de mouches suite à l'apport de quelques unes sur une proie. Par contre l'apport d'une proie dans le nichoir avant la naissance des oisillons pourrait y amener des bactéries et autres pathogènes qui eux pourraient se multiplier rapidement et ultimement aggraver les effets de l'infestation de mouches.
  • Une question sans réponse est si la non-éclosion de 2 œufs en 2023 pourrait s'expliquer par une mort embryonnaire possiblement causée par des bactéries favorisées par la présence des mouches. Le 5 juin 2023, Faucons de l'UdeM a écrit sur Facebook: ''Les œufs non-éclos récoltés au nid étaient clairs: pas de développement embryonnaire''. L'examen est typiquement fait par mirage, c'est-à-dire en examinant les œufs par transparence sous une forte lumière, mais ce type d'examen n'est probablement pas capable de détecter un développement embryonnaire qui a été interrompu à un stade précoce.
     
 




 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire